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L'affaire Malraux

Eden Makaya

Dernière mise à jour : 3 avr. 2024

Le pillage du site de Banteay Srei

Catégorie/Histoire Cambodge


  • L'affaire Malraux Grand écrivain, intellectuel et politique, celui que Jacky Kennedy gratifiait d'homme le plus fascinant, André Malraux devient, sous la présidence du général De Gaulle, ministre de la culture française de 1959 à 1969. Ce grand promoteur d'art qui donna son nom à une loi sur la protection du patrimoine historique a été, en 1923, l'instigateur d'un vol d'antiquités sur le site de Banteay Srei au Cambodge, d'où il extirpa des statues et des bas-reliefs avec la complicité de sa femme Clara et de son ami d'enfance, Louis Chevasson. De cet incident fâcheux, qui n'aura pourtant jamais entaché la réussite ni la réputation de l'écrivain, naîtra l'une de ses œuvres les plus importantes : "La voie royale", publiée en 1930. Un roman partiellement autobiographique dans lequel il raconte son aventure, vécue au temps du protectorat français au Cambodge.



  • Georges, André Malraux (1901-1976).

  • Clara Malraux née Goldschmidt (1897-1982).

  • The First lady, Jackie Kennedy (1928-1994) et André Malraux.

  • La voie royale - André Malraux.






  • L'histoire

En 1920, André Malraux, âgé de vingt-deux ans, est un jeune écrivain en devenir de notoriété, qui rédige quelques articles dans un magazine littéraire et philosophique. Déjà bien introduit dans les cercles littéraires, il fréquente artistes et gens de lettres. Dans cette tumultueuse agitation culturelle parisienne, il fait la connaissance de Clara Goldschmidt, qui deviendra sa femme et dont il perdra toute la fortune dans un mauvais placement boursier mexicain. Grand amateur d'art Khmer et tout particulièrement de sculptures, il suit les cours organisés par le musée Guimet, de l'école du Louvre et ceux de l'École Française d'Extrême Orient (EFEO), où il apprend par un article d'Henri Parmentier l'existence du temple de Banteay Srei, un site perdu dans la jungle cambodgienne, dont aucun document officiel ni ouvrage d'Étienne Aymonier, spécialiste des cultures khmères et cham ne faisait état. Le temple n'était tout simplement pas répertorié dans les inventaires descriptifs des monuments du Cambodge de 1911 par M.E Lunet de Lajonquière.


  • Apsaras (nymphes célestes) panneau architectural du Bayon, temple principal de l'empire khmer.

  • Henri Parmentier (1871-1949).

  • Etienne François Aymonier (1844-1929).

  • Etienne, Edmond Lunet de Lajonquière (1861-1933).


Voyant là une fabuleuse occasion de se refaire, Malraux, réfléchit au moyen d'explorer ce temple isolé, situé le long de la voie royale, qui doit contenir des chefs-d'œuvre de grande valeur, qu'il pourrait revendre sur le marché de l'art et contacte de riches collectionneurs américains et allemands. Après avoir exposé son idée à sa femme et son ami Louis Chevasson, il se met en quête d'obtenir du ministère des colonies, une mission de recherche archéologique dans le cadre de son étude sur l'art khmer. Il fait la promesse d'un don financier conséquent à l'EFEO, s'engage à couvrir personnellement les frais de son voyage et à ne prétendre à aucun droit personnel sur ses découvertes.

Albert Sarraut

Peu de temps avant son départ, la mission lui est accordée par Albert Sarraut, ministre des colonies, qui émet quelques réserves sur cette étude entièrement financée par un personnage vantard et menteur invétéré, bien trop au courant de la valeur de l'art khmer. À sa demande, une enquête menée depuis Paris, révèle que la situation financière du couple est désastreuse et que leurs relations avec des antiquaires et collectionneurs jettent le doute sur les véritables motivations de cette expédition. Un télégramme adressé au gouvernement général d'Hanoï demandera une surveillance en toute discrétion, afin que son activité sur le terrain soit strictement limitée à l'étude archéologique.


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Les Malraux, qui ignorent tout de cette surveillance, embarquent le 13 octobre 1923 à Marseille à bord du SS Angkor pour une traversée de 29 jours jusqu'à Hanoï où les attend Léornard Aurousseau, directeur du siège de l'EFEO. Celui-ci qui a reçu des instructions désigne Henri Parmentier comme tuteur, chargé de les accompagner et de les surveiller.


  • Albert Sarraut (1872-1962).

  • À l'origine, ce paquebot se nommait "l'Atlantique", qu'une torpille frappa le 9 mai 1918 au large de Bizerte et qui fut remis en état par la Société Provençale de Constructions Navales, rebaptisé l'Angkor.

  • Léonard Aurousseau (1888-1929).

Le voyage se poursuit en direction de Phnom Penh, puis de Siem Reap, où Louis Chevasson vient de les rejoindre, chargé de quatre énormes malles. Autorisations en main, Malraux se hâte aux derniers préparatifs, rassemble une équipe pour son expédition et met le cap sur Banteay Srei, le 17 décembre. Après deux jours de périple à travers la jungle, ils parviennent sur le site et découpent à la scie, près d'une tonne de sculptures et de bas-reliefs, puis repartent en direction de Phnom Penh. Il était convenu pour plus de discrétion qu'André et Clara partent avant Louis, qui les rejoindrait avec le précieux butin transporté par bateau.

  • vues de Banteay Srei




  • Arrestation

Avisé, Georges Groslier en mission à Kompong-Chnang est chargé de s'assurer que les malles étaient bien transbordées sur le bateau de Pnom-Penh. Sur ordre du Parquet, il fut procédé à la saisie des caisses qui étaient adressées à la maison Berthet-Charrière et Cie, de Saïgon (expéditeur), aux bons soins de M. Chevasson sous la désignation de Produits chimiques.

  • George Groslier (1887-1945) - Conservateur du Musée des Arts du Cambodge.

  • Malraux... l'escroc de bonne famille

Le 23 décembre 1923 sonne la fin de l'expédition, le guide vient de les dénoncer. La police qui les attend découvre en ouvrant les malles, 7 statues et 4 bas-reliefs, ainsi que les chevelures découpées de quatre Apsaras dans le sac de Clara. Goguenard, Malraux se moque avec insolence et affirme que les malles étaient vides à leur départ ! Placé en résidence surveillée à l'hôtel Manolis de Phnom Penh, il prépare sa défense en vue du procès qui s'annonce. Entre temps, les sculptures sont conservées au musée de Phnom Penh avant qu'Henri Marchal n'entreprenne la restauration du temple en 1931 et que les statues soient remises à leur place d'origine.


  • La stratégie de défense Avant leur départ, Malraux et Chevasson avaient convenu que ce dernier prendrait sur lui seul le vol des statues s'ils étaient arrêtés, convaincu que Malraux et ses nombreuses relations seraient plus amenées à faire libérer son complice. La lettre ci-dessous confirme la manœuvre mise en place, en appuyant sur le fragile état de santé de Clara, afin qu'elle soit acquittée et puisse rentrer en France pour mobiliser ses relations et agiter la presse pour les faire libérer.


  • Extrait de la lettre de Malraux adressée au Résident Supérieur de Phnom Penh La manœuvre en action est confirmée dans la suite du procès.


Phnom Penh, le treize mai 1924.

Monsieur le Résident Supérieur,


À la suite du désir que vous avez eu l'extrême obligeance de vouloir bien me faire connaître, j'ai l'honneur de vous exposer les faits suivants. Arrivé au Cambodge en mission archéologique au début de décembre 1923, je fus, lors d'un voyage d'Angkor à Phnom Penh entrepris afin de faire donner à ma femme souffrante au retour de la brousse les soins nécessaires, impliqué dans une affaire de pièces archéologiques prises par M. Chevasson au temple de Banteay Srey, à trois jours de Siem Reap. Il se les était approprié, mais elles ont été récupérées par l'Administration. Il a reconnu avoir agi entièrement seul. Je ne m'appesantirai pas sur cette affaire qui est entre les mains de la Justice. Qu'il me soit seulement permis, Monsieur le Résident Supérieur, que si j'en attends le jugement avec quelque impatience, je le fais sans aucune inquiétude. L'instruction de cette affaire durait depuis deux mois déjà lorsque ma femme, plus souffrante et venant d'apprendre que sa mère l'était également, décida de rentrer en France. Mon avocat, Maître de Parcevaux, ayant, par courtoisie, informé Monsieur le juge d'instruction de ce départ, celui-ci déclara qu'il s'y opposait. Le surlendemain en effet, ma femme était inculpée. Le choc produit par cette inculpation, et surtout par sa conséquence, l'impossibilité du retour, sur une constitution déjà affaiblie et supportant le poids d'une hérédité très lourde fut tel qu'il détermina une crise nerveuse de la plus grande violence présentant certains caractères de la folie. Le soir, ma femme s'empoisonnait avec du Véronal. Elle fut amenée à temps à l'hôpital, où elle refusa longtemps toute nourriture. Depuis (et il y a de cela plus de deux mois) elle est restée dans un état d'extrême dépression, et n'a pas encore recouvré la conscience. Dès son entrée à l'hôpital je fis présenter à Monsieur le Juge d'Instruction une requête, appuyée de certificats médicaux pressants, tendant au retour provisoire de ma femme en France. Après intervention du Parquet Général, il me fut répondu qu'on userait de la plus grande indulgence à son égard et qu'un non-lieu la concernant serait rendu lorsque le Parquet de Phnom Penh aurait reçu son casier judiciaire et les résultats de la Commission rogatoire qu'il avait fait faire à Paris...

  • La suite de cette lettre



  • Le procès

Lors du procès, l'EFEO se porte partie civile contre Malraux, redoutant une attitude clémente des magistrats envers le trio, ce qui aurait pour fâcheuse conséquence de laisser la porte ouverte au pillage des chefs-d'œuvre du Cambodge. Malraux, qui manifeste durant tout le procès une arrogance déconcertante, étourdie la cour de sa faconde intarissable, mais épate au contraire les journalistes en faisant preuve d'une telle mauvaise foi devant l'évidence de son accusation. Reconnu comme l'instigateur de cette expédition, le 16 juillet 1924, le verdict tombe, Malraux est condamné à trois ans de prison ferme et cinq ans d'interdiction de séjour. Louis Chevasson écope de 18 mois ferme et Clara obtient un non-lieu. Malraux fulmine, fait appel, appuyant sa défense sur le non-classement du temple de Banteay Srei.

De retour en France, Clara mobilise toute l'intelligentsia parisienne pour voler au secours de son époux. Parmi ses amis, André Breton, André Gide, François Mauriac, Edmond Jaloux, Raymond Gallimard, signeront une pétition réclamant un statut privilégié "pour ceux qui contribuent à augmenter le patrimoine intellectuel de notre pays !". Celle-ci sera publiée dans les nouvelles littéraires, pour faire libérer Malraux.


Le procès est révisé le 28 octobre 1924, la cour d’appel de Saïgon commue la peine de Malraux à 1 an de prison avec sursis et celle de Chevasson à 8 mois avec sursis. En novembre 1924, c'est le retour en France, Malraux se pourvoit en cassation dans l'espoir d'obtenir la restitution des bas-reliefs. L'arrêt d'appel sera annulé en 1925 et un nouvel arrêt sera rendu le 11 mai 1926. Dans la foulée, Malraux signera un contrat pour trois livres chez Grasset, grâce à son affaire judiciaire qui lui aura valu la plus grande admiration des éditeurs parisiens qui lui témoignent toute leur admiration et leur soutien.


  • En savoir +


À propos du pillage sur le site de Banteay Srei, dans un autre Interview de 1981, Clara Malraux déclarait en parlant de son mari : 

- Clara : « Il m'a exposé son projet, je l'ai trouvé complètement fou, mais je me suis dit : “ S'il en a envie, essayons !” Il pensait aller là-bas, trouver un temple encore inexploré, prendre quelques statues et les vendre en Amérique. Ça me paraissait dangereux, mais pas inintéressant"... "

Et aujourd'hui, qu'en pensez-vous ? Ce n'était pas très correct vis-à-vis de ces pays que de s'approprier leurs chefs-d’œuvre ? 

- Clara :  « Oh, on ne les aurait jamais découverts, ou alors trop tard. Le temple dans lequel nous étions se trouvait au milieu de la jungle.



  • Vidéo de l'INA de 1971 dans laquelle Clara Malraux raconte sans aucun scrupule le vol de statues à Banteay Srei.


  • Vidéo de l'INA de 1981 dans l'émission "Fenêtre sur", Clara raconte comment leurs visites au musée Guimet ont fait naître leur passion commune pour la statuaire khmer.


  • Vidéo de L'INA de 1992 dans l'émission " Le cercle de minuit", Michel Field débat sur le pillage des oeuvres d'art par l'occident.



  • Article du journal L'Ouest-Éclair du 3 août 1924.

"L'homme à la cape de velours noir voulait dévaliser les temples d'Angkor".


  • La suite du post : Trafic d'œuvres d'art Khmères.



Livres

  • Angkor, chronique d'une renaissance de Maxime Prodomidès. Prodomidès consacre un long chapitre à l'affaire Malraux.


  • André Malraux: L'aventure Indochinoise de Walter G. Langlois.








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